De
novembre à décembre 2013,
l'aventure a continué à Besançon, dans les maisons de quartier de
Battant, de Planoise et de Montrapon. Au contraire d'Alger, je ne me
suis occupée d'aucune communication de presse ou autre. Mon activité
s'est concentrée sur la part qui était la mienne, l'animation des
Ateliers, à partir de dessins de Stéphane Lacombe et de mes
propositions d'écriture (à l'exception de deux), en liaison étroite
avec la thématique du projet [initié par la Compagnie des Trois
Sœurs « Femmes ici ou ailleurs », soutenu et financé
dans
le cadre d’un CUCS par la Drac et la Ville de Besançon, avec le
soutien du Conseil Général du Doubs, de l'Institut Français
d'Alger et l'Ambassade de France à Alger].
Expérience
également passionnante où j'ai encore appris sur le métier et
confirmé mon goût, mon intérêt des autres, en situation
d'atelier. Que des personnes, aux parcours et aux tempéraments
différents, se réunissent, s'apprivoisent, partagent un moment
d'écriture et d'écoute ne cessera de m'étonner et de me réjouir.
Sur ce point, je ne serai jamais blasée.
Tout
animateur d'atelier d'écriture, sait, dès les premières années, qu'il n'y a rien de moins statique qu'un Atelier, rien de plus
surprenant, de plus productif. D'une séance à une autre, à
l'écoute des textes des unes et des autres, suivant les débats
après lecture, des sujets de réflexion, des idées d'écriture
pointaient, tels de vifs bourgeons de printemps.
Par
exemple, l'Atelier d'Alger, ses enseignements, m'ont permis de poser
la question de l'intime, de l'intimité dès la première séance à
Besançon. Et si l'hypothèse est l'universalité des sentiments et
des mots/maux qu'ils entraînent, il reste qu'il y a des facteurs, des
conditions qui ne se vivent pas de manière identique, selon les
sociétés. Des propositions d'écriture se sont imposées, nées
dans la passion, la gravité d'une discussion. « Pour qui sont
les rues ?» a été une proposition d'écriture formulée à
Alger... La réponse des écritures a bien montré que la relation
des femmes à l'espace, au dehors, n'était pas sans incidence sur
leur relation aux hommes, quelle que fût la gamme du sentiment.
Autrement dit, on peut venir avec une batterie de propositions
d'écriture préparées à l'avance, on peut avoir réfléchi sur
telle ou telle problématique (ou ne pas avoir réfléchi),
l'animation d'une séance, les textes écrits, les propos échangés,
vous surprennent, vous désignent des sentiers que vous n'aviez pas
songé prendre, vous rappellent que votre analyse propre ne saurait
se suffire à elle-même.
La
somme de réflexions induites par ces ateliers, la façon dont je les
ai vécus, je les laisse pour un petit livre que je suis en train
d'écrire portant sur mon parcours d'animatrice d'ateliers d'écriture
en milieu universitaire, scolaire, hospitalier et psychiatrique,
associatif et artistique. Au bout d'une quinzaine d'années de
pratique, en contact avec des publics différents, j'ai eu envie de
faire une pause réflexive. De revenir à mes carnets de bord où
j'ai noté, au long des séances, impressions, questions, phrases
saisies au vol; mais également aux plaquettes réunissant les textes
produits lors des ateliers.
Les
rouvrant, les feuilletant, les relisant, je suis surprise, émue, par
la qualité et la finesse de certains écrits. Des visages me
reviennent. Entre autres, celui d'André qui a tiré sa révérence,
volontairement, un certain mois de juillet. Il me reste sa voix, ce
texte qu'il avait écrit en réponse à une proposition d'écriture :
La nostalgie.
Nous
travaillions sur la mémoire. C'était l'année 2003, à l'Université
Ouverte de Besançon. Voici :
«Pour
réfléchir sur le mot nostalgie,
il est bon, je crois, de le frotter à celui de regret.
Les deux expriment la fulgurance du passé dans le présent. Notons
que le deuxième a son verbe : regretter; le premier n'en a pas.
Créons le néologisme «nostalgiser». D'autre part, on peut avoir,
contrairement à la nostalgie, le regret d'un fait qui ne s'est pas
produit : j'ai le regret de ne pas être entré dans la résistance.
Mais la principale différence n'est pas là. Un regret déboule du
passé avec dépit et amertume. Une nostalgie est un regret bonifié,
enjolivé, sublimé par le temps. Ce dernier a laissé sa patine.
Regret est un mot négatif . On conçoit mal une radio s'appeler
"Radio-Regret".
Alors que "Radio-Nostalgie"
existe. Comme
on dit maintenant, le concept est porteur. Quand on éprouve de la
nostalgie, on ne repart pas directement dans le passé sans bagages.
On y amène sa mélancolie, sentiment suave, son humour, sa dérision.
On peut avoir la nostalgie des années 70 sans penser que l'on puisse
changer le monde avec des cheveux longs, des longues robes à fleurs
et des moutons. On sait que ces années ont surtout connu le
couvercle du «système» personnifié par Pompidou et Giscard.
N'empêche que la nostalgie de cette décennie est bien là et que la
mode actuelle s'en empare. La nostalgie est donc le regret à visage
humain, sa volupté, j'oserais dire sa transcendance.
Pour
ma part, je «nostalgise» les matchs de foot que nous faisions entre
gamins, sans arbitre, sans hors-jeu et sans même un nombre égal de
joueurs entre les deux équipes. Cela ne m'empêche pas de détester
aujourd'hui le sport. Je crois que pour être nostalgique, il faut
savoir faire ce petit pas de côté, et se trouver un petit hors jeu
du trafic d'enfer actuel des hommes et des choses. Celui qui est
totalement imprégné par son métier ou ses amours n'est, peut-être,
pas capable de nostalgie. Il ne sait pas ce qu'il perd. La nostalgie
est un sentiment voluptueux. Ne le perdons pas pour ne pas connaître
la nostalgie de la nostalgie.»
Animer des Ateliers d'écriture est une leçon
de vie. On y apprend à être un plus réceptif aux autres, à leur
présence, à leur parole, à leur épaisseur, à leurs spécificités.
On y apprend à être moins obsédé de soi, ramené à la diversité
des situations humaines.
Pour
revenir aux Ateliers de
Besançon, j'affirmerai ceci : j'ai admiré celles qui ont
été régulièrement au rendez-vous, ont joué le jeu du silence, du
recueillement et de l'écoute. J'ai admiré celles qui n'avaient
jamais écrit auparavant – hormis des rapports administratifs –
et qui ont déroulé le fil de leur verbe personnel, se découvrant
une capacité à dire, à écrire qu'elles ne se soupçonnaient pas.
J'ai admiré celles qui ont puisé dans le vivier de leurs joies et
de leurs souffrances pour écrire la beauté blessante de l'amour et
son attente renouvelée, avec simplicité et talent. J'ai enfin
admiré les quelques-unes qui ne sont pas restées et qui ont pris
soin de m'en écrire les raisons, me renvoyant à la modestie et au
respect.
L'accomplissement
d'un atelier tient à la responsabilité de l'animation. Animation
qui se renforce, s'enrichit de l'adhésion, de l'attention, de la
réactivité des participants. Réciprocité nécessaire, sans
laquelle un Atelier d'écriture a peu de chance de durer et
d'aboutir.
Il
me reste le souvenir d'une belle étape, les messages chaleureux et
d'encouragement que j'ai reçus (que je reçois encore, au détour
d'une rencontre, d'un e-mail) au lendemain de ma dernière séance.
Ils n'ont pas bougé de ma messagerie G-mail. Un jour, je les mettrai
dans mon carnet d'or! Chaque message correspond à un visage précis.
A
tous ces visages approchés, à leurs voix, à leurs mots offerts, je
souhaite la métamorphose attendue, l'aboutissement. En d'autre
termes, la réalisation d'un spectacle, construit avec les écrits
émouvants de femmes d'Alger et de femmes de Besançon, se déplaçant
sur les scènes d'Algérie et les scènes de France.