Portugal 2015
Lettre à...
Mes
chers parents,
Nous
avons séjourné ces trois derniers jours à Porto. Quelle ville
magnifique! Son fleuve, ses petites maisons colorées, ses façades
de faïence, ses habitants...
Les
gens sortent en famille, du plus jeune au plus vieux, ils se
promènent ensemble. Ici, les grands-parents sont les piliers
indispensables de la vie familiale et non pas des "comptes en
banque" pourrissant dans des maisons qu'on ne vient plus
visiter.
Partout,
des odeurs de sardines et de viandes grillées. Les Portugais
installent leurs barbecues dans la rue pour leur consommation
personnelle ou pour vendre.
Nous
avons marché dans la ville jusqu'à épuisement total. Beaucoup de
montées, d'escaliers, des ruelles très étroites entièrement
pavées. Certains monuments viennent nous rappeler la puissance
coloniale que fut ce pays. Un si petit pays, si beau, si paisible et
accueillant s'en est allé un jour semer la terreur sur d'autres
terres. C'est une pensée simplette mais j'ai du mal à imaginer une
abjection de plusieurs siècles démarrer du port de Porto dont la
beauté, les lumières, le soleil, le ciel, la végétation
terrassent, à mon sens, toute velléité de violence.
Hier,
nous avons longuement grimpé jusqu'à arriver sur l'esplanade d'une
impressionnante cathédrale. Au centre, une espèce de colonne
richement décorée de sculptures et à son pied de larges marches
sur lesquelles nous nous sommes assis pour admirer la vue
panoramique. Un homme et une femme étaient en face de nous. L'un
expliquait à l'autre qu'au temps de l'inquisition, on pendait les
hérétiques à cette colonne. Troublés, nous avons suivi le regard
de l'homme. Au sommet de cette colonne, il y avait 4 crochets en
bronze. Nous nous sommes levés brusquement! K. a dit: "j'ai
l'impression de voir les cadavres flotter dans l'air". J'étais
bien de son avis. Nous sommes partis!
Je
sais que je me trompe lorsque je vous parle de cette douceur de vivre
qui n'existe pas en France. A priori, le Portugal va bien. Il fait
beau, chaud, les allées sont propres, les gens souriants,
accessibles, toujours partants pour échanger quelques mots...
On
nous dit qu'il n'y a plus de perspectives rassurantes. Que les jeunes
partent au Brésil avec pour seul espoir un travail. Que les
retraités ne peuvent plus se payer un médecin. Que les couples ne
veulent plus faire d'enfants. Qu'il est impossible d'avoir son propre
chez soi. Qu'heureusement, il existe une grande solidarité familiale
qui empêche de se retrouver à la rue mais les inquiétudes sont
sérieuses.
Des
affiches du parti communiste "Peuple, réveille-toi, ce pays est
à toi!". Je me suis rappelée cette phrase prononcée par le
grand oncle de K., que j'ai rencontré en janvier lors de mon
premier séjour: "Comme avec Salazar, l'Europe nous a
abandonnés!".
Je
suis à présent à Marinha Grande. La ville de naissance de la mère
de K. Elle se trouve sur la côte océanique et est encerclée
par une immense forêt très verte et profonde. Quelle splendeur!
C'est une ancienne ville ouvrière de verre et de caoutchouc. De
nombreuses usines fermées aujourd'hui et partout des pancartes "à
vendre" sont accrochées aux balcons et aux vitrines de
magasins. Pourtant, la ville n'a pas la gueule d'une zone sinistrée
comme nous pouvons en voir dans le nord de la France. Partout des
jardins fleuris, des maisonnettes soignées, des habitants souriants.
A
nouveau ce paradoxe. Le même que celui de Lisbonne et de Porto. Mon
dieu que ce pays me serre le cœur dans le même temps qu'il me rend
heureuse! C'est peut-être ça la "saudade" dont il est
question dans le Fado et les écrits de Pessoa.
Pardon
pour ce long mail, j'espère que vous n'y voyez aucune condescendance
de touriste. Mais j'ai voulu vous écrire car à chaque instant de
joie, de beauté, de tristesse, je pense à vous et je répète sans
cesse à K. "mes parents vont adorer ce pays, je suis pressée
de revenir ici avec eux!".
L'immensité
de l'océan et de ses plages sauvages vont vous séduire autant que
l'atmosphère des villes. Maman! J'ai repéré un long chemin de 15
kms qui borde la forêt et qui mène jusqu'à l'océan que tu
adoreras faire avec moi! On y traînerait papa et on aurait des
conversations et des polémiques que nous commencerions au petit
déjeuner...
A. AK, 2015.