vendredi 16 octobre 2015

Portugal 2015

Lettre à...


Mes chers parents,

Nous avons séjourné ces trois derniers jours à Porto. Quelle ville magnifique! Son fleuve, ses petites maisons colorées, ses façades de faïence, ses habitants... 
Les gens sortent en famille, du plus jeune au plus vieux, ils se promènent ensemble. Ici, les grands-parents sont les piliers indispensables de la vie familiale et non pas des "comptes en banque" pourrissant dans des maisons qu'on ne vient plus visiter. 

Partout, des odeurs de sardines et de viandes grillées. Les Portugais installent leurs barbecues dans la rue pour leur consommation personnelle ou pour vendre.

Nous avons marché dans la ville jusqu'à épuisement total. Beaucoup de montées, d'escaliers, des ruelles très étroites entièrement pavées. Certains monuments viennent nous rappeler la puissance coloniale que fut ce pays. Un si petit pays, si beau, si paisible et accueillant s'en est allé un jour semer la terreur sur d'autres terres. C'est une pensée simplette mais j'ai du mal à imaginer une abjection de plusieurs siècles démarrer du port de Porto dont la beauté, les lumières, le soleil, le ciel, la végétation terrassent, à mon sens, toute velléité de violence.

Hier, nous avons longuement grimpé jusqu'à arriver sur l'esplanade d'une impressionnante cathédrale. Au centre, une espèce de colonne richement décorée de sculptures et à son pied de larges marches sur lesquelles nous nous sommes assis pour admirer la vue panoramique. Un homme et une femme étaient en face de nous. L'un expliquait à l'autre qu'au temps de l'inquisition, on pendait les hérétiques à cette colonne. Troublés, nous avons suivi le regard de l'homme. Au sommet de cette colonne, il y avait 4 crochets en bronze. Nous nous sommes levés brusquement! K. a dit: "j'ai l'impression de voir les cadavres flotter dans l'air". J'étais bien de son avis. Nous sommes partis!

Je sais que je me trompe lorsque je vous parle de cette douceur de vivre qui n'existe pas en France. A priori, le Portugal va bien. Il fait beau, chaud, les allées sont propres, les gens souriants, accessibles, toujours partants pour échanger quelques mots... 
On nous dit qu'il n'y a plus de perspectives rassurantes. Que les jeunes partent au Brésil avec pour seul espoir un travail. Que les retraités ne peuvent plus se payer un médecin. Que les couples ne veulent plus faire d'enfants. Qu'il est impossible d'avoir son propre chez soi. Qu'heureusement, il existe une grande solidarité familiale qui empêche de se retrouver à la rue mais les inquiétudes sont sérieuses.

Des affiches du parti communiste "Peuple, réveille-toi, ce pays est à toi!". Je me suis rappelée cette phrase prononcée par le grand oncle de K., que j'ai rencontré en janvier lors de mon premier séjour: "Comme avec Salazar, l'Europe nous a abandonnés!".

Je suis à présent à Marinha Grande. La ville de naissance de la mère de K. Elle se trouve sur la côte océanique et est encerclée par une immense forêt très verte et profonde. Quelle splendeur! C'est une ancienne ville ouvrière de verre et de caoutchouc. De nombreuses usines fermées aujourd'hui et partout des pancartes "à vendre" sont accrochées aux balcons et aux vitrines de magasins. Pourtant, la ville n'a pas la gueule d'une zone sinistrée comme nous pouvons en voir dans le nord de la France. Partout des jardins fleuris, des maisonnettes soignées, des habitants souriants.

A nouveau ce paradoxe. Le même que celui de Lisbonne et de Porto. Mon dieu que ce pays me serre le cœur dans le même temps qu'il me rend heureuse! C'est peut-être ça la "saudade" dont il est question dans le Fado et les écrits de Pessoa.

Pardon pour ce long mail, j'espère que vous n'y voyez aucune condescendance de touriste. Mais j'ai voulu vous écrire car à chaque instant de joie, de beauté, de tristesse, je pense à vous et je répète sans cesse à K. "mes parents vont adorer ce pays, je suis pressée de revenir ici avec eux!".

L'immensité de l'océan et de ses plages sauvages vont vous séduire autant que l'atmosphère des villes. Maman! J'ai repéré un long chemin de 15 kms qui borde la forêt et qui mène jusqu'à l'océan que tu adoreras faire avec moi! On y traînerait papa et on aurait des conversations et des polémiques que nous commencerions au petit déjeuner...
A. AK, 2015.