lundi 12 décembre 2016

Leur vulnérabilité et leur dignité


Moi, Daniel Blake, film, 1 heure 40, 2016
Réalisateur : Ken Loach
Scénariste : Paul Laverty
Avec Daves Johns, Hayley Squires, Nathalie Ann Jamieson, Mickie McGregor, Colin Coombs, Bryn Jone, Mick Laffey, Briana Shann, Dylan Mckiernan, John Summer.

Notes et impressions, mon carnet de spectatrice

-Il était une fois un homme qui avait travaillé toute sa vie. Puis il est tombé gravement malade, souffrant de problèmes cardiaques. Il se fait soigner, son médecin lui interdit de reprendre le travail. S'ensuivent des démarches kafkaïennes auprès des Services sociaux. L'homme va devoir affronter des interrogatoires tel un coupable et découvrir une administration opaque, féroce. Le but de ces Services est de dénier à l'individu son passé de labeur et de dignité, de le déposséder, de le pousser au désespoir et vers la rue, au sens concret du terme. Sans compter ceux qui s'en font les relais serviles et tout aussi féroces : le personnel, les agents de sécurité. De temps à autre émergent parmi ces derniers, des attitudes d'empathie et de compréhension mais impuissantes dans la machine administrative conçue pour broyer et éliminer méthodiquement.
Les "détails" en disent long. L'autre personnage du film, la jeune femme pauvre, mère de deux jeunes enfants, a volé dans un magasin, parmi d'autres choses "de survie", un petit paquet de bandes hygiéniques... Elle demandera à l'épicerie solidaire des bandes hygiéniques que celle-ci ne fait pas figurer parmi les éléments d'urgence. (Point de jonction : le kit dit  de dignité lancé par Solidarites International, en faveur de réfugiés démunis, comporte : un savon, un peigne, un sachet de mouchoirs, un tube de dentifrice, une brosse à dent, un shampoing et des bandes hygiéniques.)
Que deviennent les gens pauvres, ceux qui font la queue devant la banque alimentaire? Cette image fait penser immanquablement à la crise financière et économiques de 1929 et à ses images, fixant des cohortes de femmes, d'enfants, d'hommes miséreux, aux visages émaciés par la malnutrition, si ce n'est la faim, et une tristesse infinie. Qui a raconté qu'elles appartiennent à une Histoire révolue?
Par touches à peine appuyées, sensibles, poétiques : la présence, la voix des enfants. Nul n'écoute les enfants. Pourquoi voudrait-on qu'ils écoutent?
Voici un homme qui a mille compétences manuelles, qui sait construire de ses mains une bibliothèque, réparer les lampes, sauf celles de l'internet. Donc, forcément, il est out, hors système. Dans ce film dur, des bouffées de tendresse, d'amitié, des élans de solidarité. Entre les jeunes voisins et l'homme de cinquante-neuf ans, entre la jeune femme si désemparée, ses deux enfants et cet homme. Cet homme qui a revendiqué jusqu'au bout son identité d'humain, d'individu, sa dignité de personne sociale : je suis Moi, je m'appelle Daniel Blake.
D'aucuns diront, ont dit que Ken Loach a un peu trop souligné la démonstration.
Peut-être et qu'importe. La réalité à laquelle renvoie son film existe, il ne l'a pas inventée. Je pensais à ce film alors que j'entendais quelqu'un, possédant plusieurs propriétés, se plaindre de payer trop d'impôts. L'un des problèmes pointés dans le film est le logement ou plutôt la difficulté extrême que vivent les gens modestes et pauvres à se loger dans l'Angleterre d'aujourd'hui. Selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de la barrière...
Ken Loach, cinéaste de 80 ans, n'a plus rien à prouver quant à son art. Il témoigne, en tant que tel, des réalités de son pays. Des réalités qui concernent également d'autres pays européens démocratiques. S'instruire, se soigner, travailler, se nourrir, se vêtir décemment n'y sont plus des évidences minimales de dignité. Le vent d'un certain XIXème siècle y est revenu, soufflant implacablement. (Mais c'est aussi le siècle des luttes... me dit un ami).
Je regardais le film Moi, Daniel Blake et me traversaient des réminiscences d'un ouvrage de Flora Tristan, intitulé Promenades dans Londres [titre complet : Promenades dans Londres ou l'Aristocratie et les prolétaires anglais] paru en 1840. Rentrée chez moi, je recherche le texte, le retrouve, l'ouvre au hasard : "Ainsi en Angleterre, les moralistes, les hommes d’État dont les paroles sont écoutées, n'indiquent d'autre moyen pour sauver le peuple que de lui prescrire le jeûne, de lui interdire le mariage et de jeter dans les égouts les enfants nouveau-nés. Selon eux, le mariage ne doit être permis qu'aux gens aisés, et il ne doit exister aucun hospice pour les enfants abandonnés".
Propos de cinéaste, l'an XVI du XXIème siècle : « Nous [Ken Loach et Paul Laverty, alors qu'ils préparaient le film en question] avons rencontré un groupe de demandeurs d’emploi par l’intermédiaire d’une association caritative. Il y avait un jeune homme qui n’avait pas mangé depuis quatre jours. Un autre, à qui l’agence pour l’emploi avait demandé à 5 heures du matin de se rendre à un entrepôt à 6 heures, s’était entendu dire une fois sur place qu’il n’y avait pas de boulot. On évoque cette humiliation permanente et ce sentiment constant de précarité". Il y a comme des échos qui se répondent. D'un siècle à l'autre, des échos de mépris et de cruauté vis-à-vis des plus démunis d'entre nous -"et nos frères pourtant"- et qu'on ne saurait voir...

-Pour rester dans le domaine du cinéma, concernant plus précisément les catégories moyennes en France, il y a l'excellent, le profond film documentaire de Frédéric Brunnquell : Classe moyenne, des vies sur le fil, passé sur Arte, en 2015.
Film en 3 parties, montrant des femmes et des hommes issus de "la petite classe moyenne", selon les termes du cinéaste, aux prises avec la crise, constamment au bord du basculement dans la pauvreté : "J'avais beau le savoir, ce qui m'a le plus sauté aux yeux, c'est leur vulnérabilité. J'ai voulu montrer la manière dont la crise les fragilise, et les stratégies qu'ils mettent en place pour y faire face, l'énergie dingue qu'ils déploient pour s'en sortir".

-Frédéric Brunnquell, c'est aussi celui qui a réalisé le saisissant Nos vies discount, 2012. J'avais pris des notes, tant il m'avait secouée. J'y reviendrai. 

Chaque nuit un homme y dort, 2016.

 

lundi 5 décembre 2016

Anna et Ilya, Réminiscences


Une courte nouvelle, telle une vision, une traversée de mémoire :


©Soumya Ammar Khodja

Lire sur Le Capital des mots 

4 décembre 2016


Pénombre 2015




 

lundi 14 novembre 2016

Des femmes et leurs paroles


Mon carnet de spectatrice, notes et impressions, à propos du film documentaire :

H'na barra/Nous, dehors, 53 mns, 2014

de Meriem Achour Bouakkaz et de Bahïa Bencheikh-Elfeggoune

Image : Jean-Marie Delorme
Son : Antoine Morin, Moncef Taleb
Montage : Nadia Benrachid, Pascal Cardeilac
Production/Diffusion : Allers Retours Films, Centrale Électrique

Cela se passe en Algérie, à Constantine, à Sétif, à Alger. Des femmes parlent. Des femmes élaborent une parole de réflexion et de questionnement sur elles-mêmes en tant que femmes aux prises avec leur société. Une société où une opinion, largement répandue, prône le voilement des femmes ; où les femmes ne sont pas impunément des femmes.
-Cas de figure : cette jeune femme a décidé de porter le voile, foulard et long vêtement ample. D'un point de vue concret, cela lui permet de se déplacer dans la ville, librement, sans entraves. Si les premiers temps, elle est plutôt bien vue, dehors, dans le bus où on lui cède volontiers la place, elle est vite rattrapée par le réel. Elle aura beau se voiler et se voiler encore, elle n'échappe pas au regard, à l'agressivité masculine. Elle est encore trop visible. Que faire ? Par rapport à ce corps qui est tout sauf anodin, à cette féminité problématique, j'allais dire névralgique tant elle pose problème... Cette jeune femme vit au quotidien, dans son être même, une oscillation permanente. C'est un tourment et une merveille d'être femme. Comment vivre, entre deux tensions constantes ? Il semble donc que le choix de porter le voile – en même temps qu'il est une réponse, un acquiescement, à une puissante injonction sociale – exprime une tentative d'échapper au regard extérieur, à l'agressivité masculine sous toutes ses formes, paroles et gestes. Attitude qui pourrait se résumer en ces termes : se voiler pour avoir la paix et circuler dans la rue, dans les jours, dans la vie, sans être entravée par l’œil d'autrui, qui jauge, juge, condamne et agresse. Or, le port du voile ne lui apporte ni tranquillité ni apaisement. Il ne lui est pas une solution satisfaisante et épanouissante.
-Cas de figure : cette jeune femme a porté le voile pendant plusieurs années de suite, pendant qu'elle poursuivait ses études de médecine. Progressivement, le désir de l'enlever a fait son chemin en elle. Ce désir s'est accompagné de la prise de conscience de son visage. Un visage dont elle s'est peu à peu occupé : discrète épilation des sourcils, à peine du rouge sur les lèvres. Puis, elle a franchi le pas, avec conviction et appréhension, le cœur battant. Dévoilée, elle a dû affronter l'incompréhension, le jugement, le rejet, le rappel à l'ordre, les leçons des uns et des autres : collègues d'université, voisins, et autres meilleures amies. De même, sa famille, sa mère, son jeune frère n'ont pas été épargnés par la vague de condamnations et de remontrances. Il faut arriver à imaginer le poids, la constance de cette pression pour mesurer le courage, la ténacité et la force de caractère de cette jeune femme.
-Cas de figure : cette jeune femme, en quête d'elle-même, voudrait enlever le voile mais n'ose pas encore franchir le pas, qui s'interroge, qui interroge. Devant un grand miroir, elle dit détester son corps, ce corps qui l'emprisonne, objet de souffrances et qui ne passe pas inaperçu, même voilé !
-Cas de figure : cette ardente jeune femme, sans voile, s'assumant pleinement en tant que telle, aborde une problématique sensible : la relation fille/père. Elle a dû prendre soin de son père malade, en procédant également à sa toilette intime. « Heureusement que dans sa maladie, il a un peu perdu la tête. La question de la pudeur a pu ainsi être dépassée », explique-t-elle en substance. Malgré cette proximité physique, cette relation si forte avec son père, le rituel de sa toilette mortuaire lui sera refusé. Elle sera privée, selon ses propres termes, du geste de l'enterrer. Coutume immémoriale qu'elle récuse. Pourquoi seuls les hommes auraient-ils le droit d'enterrer ?
-Cas de figure : cette femme est l'ainée du film. Celle-ci n'a jamais porté de voile, n'a aucunement, à nul moment, songé à le faire. Il ne lui aurait rien apporté de plus. Une vie de lutte, une vie à s'appliquer à être parfaite, en tant que fille de son père, de ses parents, en tant qu'élève et étudiante de médecine, en tant qu'épouse, mère de famille et médecin... une vie de combat et de labeur, avec au cœur, un sentiment profond de liberté. Par ce qu'elle est en parfaite adéquation avec elle-même, ses valeurs propres et universelles
Au-delà de l'émotion qu'elles peuvent provoquer chez les spectatrices et spectateurs attentifs - il ne suffit pas de constater qu'elles sont poignantes - leurs propos mènent à des questions qui continuent de concerner les femmes. Qu'est-ce qu'être femme, par rapport à soi et aux autres? Qu'est-ce qu'un corps de femme? Qu'est-ce que la féminité? Par qui, par quoi sont-ils déterminés? Comment sont-ils perçus? Par exemple, sous d'autres cieux plus ouverts, dans de hautes sphères, sphères de la politique et du pouvoir, la présence des femmes, leur corps, leur féminité, leur façon de se vêtir (Ô la robe de Cécile Duflot), semble être un problème pour un certain nombre de leurs collègues masculins, pour ne dire que cela. Pourquoi? [Lire, entre autres, l'ouvrage de l'universitaire et politique Sandrine Rousseau Manuel de survie à destination des Femmes en Politique, Edition Les Petits Matins, 2015 et un entretien de la même, très intéressant, à mon sens.]
Ce film est une étape. Une étape de discussion et de réflexion, à ajouter au débat. Il pose aussi, en filigrane, des problématiques fines. Il fait saisir que l'opinion qui veut que les femmes se voilent n'a que faire de leurs motivations spirituelles. Ce qui importe à cette opinion, c'est que les femmes se voilent le plus possible, encore et encore, jusqu'à l'invisibilité dans la sphère publique. D'autre part, il rappelle, à qui voudrait l'oublier - c'est peut-être plus rapide de figer les personnes dans des "clichés" - que des femmes ont ce mouvement : elles enlèvent leur voile. Il y a celles qui portent le voile, celles qui songent à l'enlever, celles qui l'enlèvent, celles qui ne l'ont jamais porté... Réalités multiples, diverses, mouvantes...
H'na Barra/Nous, dehors : la caméra s'arrête sur des visages de femmes intelligentes, passionnantes. Des femmes, riches de leur intériorité et de leur questionnement, exposent ce qu'elles vivent, ce qu'elles ressentent, ce qu'elles pensent dans une société particulière où il n'est pas aisé d'être une femme. C'est certainement un combat quotidien. Dans leurs discours, aucune facilité, aucune formule creuse. Elles sont dans la densité. Cela change des discussions banales, sans épaisseur... Introduire la complexité, la gravité dans la prise de parole est salutaire et vivifiant. D'autant plus que cette parole est directement celle de femmes, leur parole intérieure. En cela, ce film est beau et fort.

Algérie, 2012

mardi 4 octobre 2016

Zola l'italien





Et même si je n'étais pas français

"Et qu'ils sont donc bêtes; ceux qui m'appellent l'Italien, moi né d'une mère française, élevé par des grands-parents beaucerons, des paysans de cette forte terre, moi qui ai perdu mon père à sept ans, qui ne suis allé en Italie qu'à cinquante-quatre ans, et pour documenter un livre. Ce qui ne m'empêche pas d'être très fier que mon père soit de Venise, la cité resplendissante dont la gloire ancienne chante dans toutes les mémoires. Et même si je n'étais pas français, est-ce que les quarante volumes de langue française que j'ai jetés par millions d'exemplaires dans le monde entier, ne suffiraient pas à faire de moi un Français, utile à la gloire de la France!"

Emile Zola, "Déclaration au jury", 22 février 1898


Roses d'ailleurs 2016

lundi 19 septembre 2016

Ils ont dit


"Personne n'est moins agressif que quelqu'un qui baisse les yeux pour lire un livre qu'il a entre les mains. Il faudrait partir en quête de ce recueillement universel" Enrique Vila-Matas


"Ces Etrangères, en monde Inconnu

Asile m'ont demandé.
Accueille-les, car Toi-même au ciel

Pourrais être un Réfugié" 

Emily Dickinson
(1830-1886)

"Si vous aviez assisté à la belle leçon qu'a faite le docteur Broussais sur le choléra, vous auriez appris qu'il regarde la peur comme aussi meurtrière que le mal" Jules Janin (1804-1874)


Fleur d'arbre dans la ville  juin 2016 

lundi 5 septembre 2016

dimanche 1 mai 2016

Pour ce premier mai 2016


Perle d'eau

Es-tu annonce
Es-tu promesse

Es-tu l'ouvrante
Es-tu l'attente

Es-tu le mot
La clé de sol

Es-tu le chiffre
La note claire

Es-tu rivière
Le lit profond

Es-tu sonate
L'enfant du rêve

Es-tu la trace
L'obstination

Es-tu l'unique
Es-tu l'amour

Perle d'eau
A mes lèvres approchée.

©Soumya Ammar Khodja
Le long du chemin





mardi 8 mars 2016

Elle est en femme...


"-Elle est en acier! Elle est en femme, simplement, et cela suffit" Colette, La Vagabonde



Printanières

vous avez aimé vous défaire
des jours étroits
qui n'étaient plus vôtres
et retrouver le tact du sel
la mémoire ancienne
la mémoire têtue
du rêve

Chœur de peupliers bruissant d'oiseaux
Théories de dures et graves résistances
Vos vies parées d'étoiles et de perles d'eau
La mer est venue les sculpter
Ainsi rendues à votre gloire et insolence
Vous avez proclamé devant le peuple des méduses
L'ampleur du souffle le refus des barbelés
L'exigence du mouvement sa foulée précise
Faisant rebrousser chemin aux ombres brutales
Vous avez convoqué la clarté
Déplié l'immensité et la rosée
A fleuri sur vos épaules

vos épaules fières
qui n'ont plus craint
la pluie des pierres
striant de sang le chant
le chant affleurant
du cœur des volcans

Et vous avez dansé
Printanières et immémoriales
Votre liberté votre splendeur
En atours.
Soumya Ammar Khodja
Poème publié la première fois dans
Littératures Pleins Suds
Langues, Histoire, Mémoire
Mélanges pour Christiane Chaulet Achour
Numéro hors série
revue Algérie Littérature Action,
Du coeur des galets Normandie 2015
juin 2015

dimanche 14 février 2016

Azzedine Medjoubi

Que sont mes amis devenus?

Il était acteur, directeur de théâtre. Talentueux, passionné, beau de sa passion, brûlant de son feu intérieur, il avait la vie devant lui... Mais ILS en décidèrent autrement, un 13 février 1995.
Navigatrice, navigateur, si vous accostiez par là, et que vous découvriez pour la première fois son nom : Azzedine Medjoubi et que vous vouliez savoir comment meurent les artistes, les dramaturges, les poètes, voguez sur la vaste mer et demandez...

"Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous"

vendredi 12 février 2016

Saint-Valentin Les murs contestent

En marchant, en photographiant
Rue Battant, février 2011

Rue Battant, Besançon, février 2011