Mon
carnet
de spectatrice,
notes
et impressions, à propos du film documentaire
:
H'na
barra/Nous,
dehors, 53 mns, 2014
de
Meriem Achour Bouakkaz et de Bahïa Bencheikh-Elfeggoune
Image
: Jean-Marie Delorme
Son
: Antoine Morin, Moncef Taleb
Montage
: Nadia Benrachid, Pascal Cardeilac
Production/Diffusion
: Allers Retours Films, Centrale Électrique
Cela
se passe en Algérie, à Constantine, à Sétif, à Alger. Des femmes
parlent. Des femmes élaborent une parole de réflexion et de
questionnement sur elles-mêmes en tant que femmes aux prises avec
leur société. Une société où une opinion, largement répandue,
prône le voilement des femmes ; où les femmes ne sont pas
impunément des femmes.
-Cas
de figure :
cette jeune femme a décidé de porter le voile, foulard et long
vêtement ample. D'un point de vue concret, cela lui permet de se
déplacer dans la ville, librement, sans entraves. Si les premiers
temps, elle est plutôt bien
vue,
dehors, dans le bus où on lui cède volontiers la place, elle
est
vite rattrapée par le réel. Elle aura beau se voiler et se voiler
encore, elle n'échappe pas au regard, à l'agressivité masculine.
Elle
est encore trop visible.
Que faire ? Par rapport à ce corps qui est tout sauf anodin, à
cette féminité problématique, j'allais dire névralgique tant elle
pose problème... Cette jeune femme vit au quotidien, dans son être
même, une oscillation permanente. C'est un tourment et une merveille
d'être femme. Comment vivre, entre deux tensions constantes ?
Il semble donc que le choix de porter le voile – en même temps
qu'il est une réponse, un acquiescement, à une puissante injonction
sociale – exprime une tentative d'échapper au regard extérieur, à
l'agressivité masculine sous toutes ses formes, paroles et gestes.
Attitude qui pourrait se résumer en ces termes : se voiler pour
avoir la paix et circuler dans la rue, dans les jours, dans la vie,
sans être entravée par l’œil d'autrui, qui jauge, juge, condamne
et agresse. Or, le port du voile ne lui apporte ni tranquillité ni
apaisement. Il ne lui est pas une solution satisfaisante et
épanouissante.
-Cas
de figure : cette jeune femme a porté le voile pendant
plusieurs années de suite, pendant qu'elle poursuivait ses études
de médecine. Progressivement, le désir de l'enlever a fait son
chemin en elle. Ce désir s'est accompagné de la prise de conscience
de son visage. Un visage dont elle s'est peu à peu occupé :
discrète épilation des sourcils, à peine du rouge sur les lèvres.
Puis, elle a franchi le pas, avec conviction et appréhension, le
cœur battant. Dévoilée, elle a dû affronter l'incompréhension,
le jugement, le rejet, le rappel à l'ordre, les leçons des uns et
des autres : collègues d'université, voisins, et autres
meilleures amies. De même, sa famille, sa mère, son jeune frère
n'ont pas été épargnés par la vague de condamnations et de
remontrances. Il faut arriver à imaginer le poids, la constance de
cette pression pour mesurer le courage, la ténacité et la force de
caractère de cette jeune femme.
-Cas
de figure : cette jeune femme, en quête d'elle-même,
voudrait enlever le voile mais n'ose pas encore franchir le pas, qui
s'interroge, qui interroge. Devant un grand miroir, elle dit détester
son corps, ce corps qui l'emprisonne, objet de souffrances et qui ne
passe pas inaperçu, même voilé !
-Cas
de figure : cette ardente jeune femme, sans voile,
s'assumant pleinement en tant que telle, aborde une problématique
sensible : la relation fille/père. Elle a dû prendre soin de son
père malade, en procédant également à sa toilette intime.
« Heureusement que dans sa maladie, il a un peu perdu la tête.
La question de la pudeur a pu ainsi être dépassée »,
explique-t-elle en substance. Malgré cette proximité physique,
cette relation si forte avec son père, le rituel de sa toilette
mortuaire lui sera refusé. Elle sera privée, selon ses propres
termes, du geste de l'enterrer. Coutume immémoriale qu'elle récuse.
Pourquoi seuls les hommes auraient-ils le droit d'enterrer ?
-Cas
de figure : cette
femme est l'ainée
du film. Celle-ci n'a jamais porté de voile, n'a aucunement, à nul
moment, songé à le faire. Il ne lui aurait rien apporté de plus.
Une vie de lutte, une vie à s'appliquer à être parfaite, en tant
que fille de son père, de ses parents, en tant qu'élève et
étudiante de médecine, en tant qu'épouse, mère de famille et
médecin... une vie de combat et de labeur, avec au cœur, un
sentiment profond de liberté. Par ce qu'elle est en parfaite
adéquation avec elle-même, ses valeurs propres et universelles
Au-delà
de l'émotion qu'elles peuvent provoquer chez les spectatrices et
spectateurs attentifs - il ne suffit pas de constater qu'elles sont
poignantes - leurs propos mènent à des questions qui continuent de
concerner les femmes. Qu'est-ce qu'être femme, par rapport à soi et
aux autres? Qu'est-ce qu'un corps de femme? Qu'est-ce que la
féminité? Par qui, par quoi sont-ils déterminés? Comment sont-ils
perçus? Par exemple, sous d'autres cieux plus ouverts, dans de
hautes sphères, sphères de la politique et du pouvoir, la présence
des femmes, leur corps, leur féminité, leur façon de se vêtir (Ô
la robe de Cécile Duflot), semble être un problème
pour un certain nombre de leurs collègues masculins, pour ne dire
que cela. Pourquoi? [Lire, entre autres, l'ouvrage de l'universitaire
et politique Sandrine
Rousseau Manuel de survie à destination des Femmes en
Politique, Edition Les Petits Matins, 2015 et un entretien
de la même, très intéressant, à mon sens.]
Ce
film est une étape. Une étape de discussion et de réflexion, à
ajouter au débat. Il pose aussi, en filigrane, des problématiques
fines. Il fait saisir que l'opinion qui veut que les femmes se
voilent n'a que faire de leurs motivations spirituelles. Ce qui
importe à cette opinion, c'est que les femmes se voilent le plus
possible, encore et encore, jusqu'à l'invisibilité dans la sphère
publique. D'autre part, il rappelle, à qui voudrait l'oublier -
c'est peut-être plus rapide de figer les personnes dans des
"clichés" - que des femmes ont ce mouvement : elles
enlèvent leur voile. Il y a celles qui portent le voile, celles qui
songent à l'enlever, celles qui l'enlèvent, celles qui ne l'ont
jamais porté... Réalités multiples, diverses, mouvantes...
H'na
Barra/Nous, dehors : la caméra s'arrête sur des
visages de femmes intelligentes, passionnantes. Des femmes, riches de
leur intériorité et de leur questionnement, exposent ce qu'elles
vivent, ce qu'elles ressentent, ce qu'elles pensent dans une
société particulière où il n'est pas aisé d'être une femme.
C'est certainement un combat quotidien. Dans leurs discours, aucune
facilité, aucune formule creuse. Elles sont dans la densité. Cela
change des discussions banales, sans épaisseur... Introduire la
complexité, la gravité dans la prise de parole est salutaire et
vivifiant. D'autant plus que cette parole est directement celle de
femmes, leur parole intérieure. En cela, ce film est beau et fort.
Algérie, 2012 |
J'ai vu ce documentaire et j'ai apprécié la démarche intellectuelle ( car elles en ont toutes une) intelligente, faire de questions fines et ( je crois) pertinentes sur la société algérienne. A voir.
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